• Le Morvan vu par Henri Vincenot

     Ils prirent sans hésiter le frais couloir de la Cure puis le ravin où le Cousin ruisselait sous des ramées d'aulnes et de hêtres, pour surprendre Avallon dans ses remparts couronnés des grands arbres de Sully. Au porche de St-Lazare, ils virent les signes gravés sur les pilastres et les archivoltes, et les trois points de trépan, répétés à plaisir par leurs frères lointains qui construisirent ces sanctuaires.

    Après, on quitte les grandes routes pour se perdre dans les chemins montants qui, de breuils en genêts, les portèrent à la cote 600, parmi les étangs sombres mangés de joncs noirs, les fourrés, les terres maigres, les petits prés de lèche grise où le ruisseau s'embourbe, avant de cascader sur une roche brune, ronde comme une cornemuse. 

    Ils se taisaient, parce que le Morvan est robuste silence après les clairs refrains des pays calcaires. 

                                                                         Henri Vincenot (Le pape des escargots 1972)

     

        Enfin il y avait la "galvache" ! Des Morvandiaux encore, qui se louaient, eux et leur couple de boeufs, enjougués pour faire les grands charrois forestiers, ou les transports de pierre de taille.   

        En mai ils quittaient le Morvan pour ce qu'ils appelaient les Pays-bas : Beauce, Brie, Yonne, Côte-d'Or, Loiret, Saône-et-Loire, Allier, Rhône ; ils ne rentraient qu'à la Saint-Martin et passaient leur hiver à faire les débardages forestiers chez eux et à réviser leur attelage, leurs harnais, les jougs et les fers de leurs bêtes.

         On les voyait passer au pas lent des boeufs, marchant devant le joug, l'aigulon en travers des cornes, chantant à mi-voix la complainte qui charme.

        Si on avait une coupe de bois à débarder, un lot de troncs de châgnes à descendre vers les usines de meubles d'Autun ou, plus tard, vers les gares, on leur faisait signe, on discutait des conditions, on topait et l'homme et ses bêtes commençaient le travail : il était à vous, lui et son attelage.

    Certains villages du Haut-Morvan étaient presque vides pendant quatre ou cinq mois de leur population masculine valide ; c'étaient, il faut le dire, les paroisses les plus pauvres. Ces gens dont la "biaude" était longue jusqu'aux dessous du genou (elle leur servait d'imperméable alors que le grand chapeau-coulemelle leur tenait lieu de parapluie) chantaient sans arrêt tant que les boeufs devaient marcher ; s'ils se taisaient, les boeufs s'arrêtaient...

         ...On pense bien que, lorsque s'ouvrirent les grands chantiers de construction de la ligne de Paris à Lyon et à la Méditerranée, ils furent les premiers à s'engager pour charrier les montagnes de terre et de pierre qu'il fallait déplacer ("déblai égale remblai") pour faire passer le rail par-dessus les vallées. C'est ainsi qu'à partir de 1848 et surtout après le coup d'État de 51, lorsque Napoléon III fit entreprendre la réalisation du programme ferroviaire de 1842, la "galvache" connut une période de prospérité soudaine.

          Mais que l'on ne confonde pas les "galvachers" avec les rouliers qui faisaient les transports à longue distance sur les routes alors que les "galvachers" ne faisaient que les charrois lourds et courts : l'argile des carrières jusqu'à la tuilerie, les pierres de taille de la carrière au chantier de construction, la houille de la mine de Blanzy à l'usine du Creusot par exemple, ou encore les traverses de chemin de fer depuis la coupe où l'on dégrossissait les grumes jusqu'à la ligne, où ils ouvraient des yeux ronds devant ce "'ch'mi de far", cette route d'acier sur laquelle s'avançait un monstre palpitant, plus chaud qu'une jument, plus ardent qu'un étalon, plus puissant que dix paires de boeufs et surtout plus rapide que les chevaux de poste, les "postiers d'Auxois", et même que les demi-sangs du coche, ou que les purs-sangs de môssieu le comte !

                                                                         Henri Vincenot - Les paysans Bourguignons 

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